Quelles compétences pour les métiers de la Blockchain ?

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La Blockchain va-t-elle transformer en profondeur notre société ? En certifiant les transactions par un traitement décentralisé et distribué, la Blockchain pourrait en effet bouleverser de nombreux secteurs d’activité comme la banque, les assurances, la logistique ou encore le notariat. La Blockchain ouvre également de nombreuses opportunités en termes de métiers.  Afin de répondre aux besoins du marché en termes de compétences, la commission e-compétences de l’association Pasc@line a proposé une analyse et des recommandations dans la note Blockchain et Compétences. Alain Ayache (CFA MidiSup) et Frédéric Dufaux (Sopra Steria), co-présidents de la commission e-Compétences de l’association Pasc@line, ont répondu à nos questions sur les enjeux de compétences posés par l’essor de la Blockchain.

Pourquoi avoir choisi le sujet de la blockchain ? Sur la base de quel constat ?

Frédéric Dufaux : Aujourd’hui de nombreux secteurs s’intéressent aux usages de la blockchain, sous la forme de prototype, POC, pilotes. Quand on parle de blockchain, on pense en premier lieu au domaine bancaire notamment parce que l’application blockchain la plus connue est le Bitcoin, un moyen de paiement et d’échange. C’est l’arbre qui cache la forêt, la blockchain applique le principe de registre distribué, qui permet de certifier et de garantir un échange, quel qu’il soit. Cela peut être une unité de compte, un certificat d’énergie, une certification…Le registre distribué certifie par l’intermédiaire d’un tiers réparti une transaction, un échange. La banque, l’énergie, la distribution, le transport peuvent être concernés. Seul le monde industriel ne connaît pas encore de cas concret d’application.

Alain Ayache : Côté formation, les organismes de formation, écoles d’ingénieurs ou universités, sont attentifs aux besoins du monde de l’entreprise, et aux nouveaux débouchés offerts par des technologies déjà existantes. La notion de registre distribué est ancienne, mais les nouvelles technologies, la rapidité des processeurs, l’amélioration de la mémoire et des réseaux ont rendu ces technologies exploitables et de façon très pertinente. C’est le cas de la blockchain. Sur ce sujet, les entreprises ont déjà des besoins, mais ils ne trouvent pas les spécialistes sur le marché. L’association Pasc@line a donc réfléchi à ce qui pourrait être le socle minimum qui devrait être abordé dans les formations du numérique, mais aussi en dehors du numérique.

Comment le marché réagit-il au développement de la blockchain ? Quel est le niveau d’adoption ?

AA : Aujourd’hui nous n’avons pas de statistiques. Il y a un an ou deux, la blockchain était encore un domaine de spécialistes, les cas d’usage n’avaient pas été identifiés. Le sujet était réservé à un public très restreint, qui comprenait très bien les conséquences d’une certification par un tiers multiple et virtuel. Depuis 12 à 18 mois, on constate qu’il y a des expérimentations dans tous les domaines. Ce ne sont pas encore des projets ayant pour vocation d’être déployés à large échelle. Ce ne sont pas des projets de laboratoire, le plus souvent ces projets ont un périmètre d’utilisateurs réduit, pour tester les concepts et évaluer la réaction du marché.

FD : En termes de demandes sur le marché, on a soit des sociétés qui montent des business cases autour du concept de blockchain (des start-ups, en mode offensif), et des sociétés établies qui vont essayer, en mode défensif, d’appréhender les usages de la blockchain dans leur domaine pour éviter de se faire désintermédier. Par exemple, Enedis, distributeur d’électricité, rencontre un risque de désintermédiation dans l’échange de courant électrique auto-généré par les particuliers. Le décret autorisant l’échange d’énergie généré par des panneaux solaires, pompe à chaleur thermique a été signé il y a quelques semaines. Si cela suppose de devoir certifier les transactions entre deux voisins, Enedis peut éviter de se faire désintermédier en facilitant cet échange, via une certification basée sur la blockchain. Certains métiers doivent anticiper ces changements s’ils ne veulent pas risquer de disparaître. Les notaires par exemple, doivent surveiller attentivement les évolutions de la blockchain et faire évoluer leur métier.

Quelles compétences sont demandées ? Quels types de profils ?

AA : Au fur et à mesure de nos échanges, nous nous sommes rendu compte que les compétences technologiques derrière ce métier étaient des compétences déjà existantes : le code, la sécurité, des outils mathématiques très puissants, la gestion des réseaux… plus qu’un nouveau métier, c’est une nouvelle application de compétences déjà existantes. Nous sommes arrivés à la conclusion qu’il faut a minima continuer à former des ingénieurs numériciens et les confronter à la manipulation de registres distribués durant leur cursus, sur le plan technique et sur celui des usages.

FD : La blockchain fait appel au cryptage, à des modélisations mathématiques puissantes… pour devenir expert sur la question, il faut une très forte fibre mathématique.

Quels types de missions pour l’architecte de registre distribué ?

AA : Il est capable de comprendre la demande du client, de l’interpréter en termes d’utilisation de la blockchain et d’utiliser les modèles et concepts mathématiques pour mettre en œuvre. Et puis il doit également comprendre la mise en œuvre de la blockchain elle-même et l’évolution des blockchains. On peut manipuler une blockchain seule, mais il faudra aussi pouvoir manipuler plusieurs blockchains, assurer leur interopérabilité.

FD : L’architecte de registre distribué est le pivot central d’une équipe de projet blockchain, il est l’intermédiaire entre la partie métier et la partie technique du projet. Il est suffisamment compétent et expert sur l’architecture, la compatibilité, les contraintes de sécurité de la blockchain, mais il s’appuie sur une équipe d’experts, qui, en fonction des contraintes exprimées, vont préconiser les solutions, le choix de tel algorithme, de telle architecture, etc. Son rôle est clé au sein de l’équipe : c’est lui qui s’assure de la bonne traduction en termes d’usage de la blockchain par rapport à la demande du client. Et c’est toute la difficulté de ce profil.

Quels sont les challenges en termes de management d’équipe dans les projets blockchain ?

FD : Il faut nécessairement un chef de projet. Son premier rôle est de s’entourer des bonnes compétences en fonction de la demande client. Soit il a de la chance et il a un architecte blockchain dans son équipe, suffisamment ouvert sur les usages, pour faire la traduction entre l’usage exprimé par le client et la bonne architecture blockchain qui en découle ; soit, et c’est plus souvent le cas, le spécialiste n’a pas forcément toutes les connaissances d’écoute, d’empathie et de compréhension d’enjeux non technologiques. Et dans ce cas, le chef de projet doit s’accompagner d’un expert fonctionnel capable de comprendre l’usage, et l’exprimer auprès de l’architecte.

En quoi les soft skills sont-elles devenues indispensables ?

AA : D’une manière générale, avec la transformation digitale qui se produit actuellement, ce que l’on attend de nos ingénieurs (voir note Pasc@line d’il y a deux ans), c’est qu’ils puissent discuter avec les directions marketing, logistique, etc. Ils doivent absolument acquérir ces softskills que l’on peut résumer très simplement à l’écoute et l’empathie vis-à-vis d’un tiers qui ne parle pas le même vocabulaire. Ce n’est pas spécifique au domaine de la blockchain, cela tout concerne tout ingénieur du secteur numérique. Ceci s’amplifie d’autant avec le fait que les projets sont le plus souvent menés en mode agile, avec une équipe de petite taille. C’est une révolution en termes de formation des ingénieurs, qui doivent développer des soft skills de façon à comprendre des enjeux allant au-delà de leur champ de spécialité.

Est-ce que dans ce contexte l’apprentissage continu est devenu une nécessité ?

FD : La formation continue est un enjeu majeur dans le domaine des technologies de l’information. L’accélération de l’apparition de nouvelles technologies est permanente, de plus en plus rapide, et les ESN doivent produire un effort de formation continue. Il faut apprendre à apprendre.

AA : Dans l’enseignement supérieur, on parle de formation tout au long de la vie. On ne distingue plus la formation initiale des formations ultérieures acquises dans le cadre de l’entreprise. Nous insistons beaucoup sur les compétences de base, qui permettent de s’adapter et d’acquérir assez de recul pour apprendre à apprendre. Même si tout va très vite, les révolutions que nous connaissons sont le plus souvent des agrégations de technologies existantes. C’est le cas de la Blockchain.

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