La médiation animale en milieu carcéral avec Moro

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Nous avons présenté il y a peu de temps Moro, nouveau membre (canin) de l’équipe Devoteam Revolve. Vous avez pu découvrir ses aventures sur le Cloud Playground et ses pérégrinations dans nos locaux et dans le quartier. Ce que vous ne saviez pas, c’est que Moro participe également régulièrement à des ateliers de médiation canine en milieu carcéral, une façon d’apporter un peu d’humanité en prison et de contribuer à la réinsertion. Nous avons échangé avec Stephan Mairesse, éducateur spécialisé, qui est à l’origine de cette initiative et qui fait participer Moro lors de ses ateliers à la maison d’arrêt de Villepinte.

Stephan Mairesse

Stephan Mairesse travaille avec des chiens depuis plus de 20 ans. Il est éducateur spécialisé, son travail vise à éduquer les chiens pour qu’ils puissent vivre en harmonie avec leurs maîtres humains. Il est également spécialiste du dressage, où il enseigne un métier au chien, comme la détection d’explosifs. Ancien éleveur Cane Corso, Stefan enseigne également son métier. Depuis 5 ans, il anime des ateliers de médiation canine en prison.

Comment en êtes vous-venu à proposer une activité avec des chiens en prison ?

Stephan : C’est à la suite d’une discussion avec une amie réalisatrice qui avait présenté son film en prison, que je me suis intéressé à ce sujet. Je voulais proposer une activité avec les chiens, destinée à améliorer le bien-être des détenus. On appelle ça la zoothérapie. J’ai donc pris contact avec un centre pénitentiaire pour leur proposer cette idée.

Dans quel contexte ce projet s’est-il concrétisé ?

Le programme “Respecto”, inspiré d’une initiative en Espagne, a été importé en France dans la prison de Villepinte. Dans le cadre de ce programme, les détenus peuvent sortir de leur cellule durant la journée, ils bénéficient de certains avantages et en contrepartie, ils s’engagent à participer à des activités, à avoir une attitude respectueuse vis-à-vis des co-détenus et du personnel, et bien sûr à s’interdire toute violence physique ou verbale. Les détenus que je visite à Villepinte participent à des activités comme le théâtre, le code de la route, le respect d’autrui, et donc à ces ateliers de médiation canine.

Quels sont vos objectifs avec cet atelier ?

L’idée est de contribuer au bien-être immédiat du détenu, mais aussi d’amener une réflexion plus profonde sur la question de l’autorité. Pour avoir de l’autorité, on n’est pas obligé d’être violent, et c’est un message qu’on peut bien faire passer à travers les chiens. Nous faisons entre 3 et 6 séances avec les détenus. La première séance est uniquement basée sur la théorie, j’explique le fonctionnement d’une meute à l’aide de vidéos que j’ai tournées. Le chien dépend d’une organisation sociale très hiérarchisée, très stricte, mais ce n’est pas par la violence que les chiens se tiennent les uns les autres. Dans un système hiérarchique comme celui-ci, on peut s’affirmer autrement que par la violence, et c’est un point de réflexion pour les détenus qui ont des problèmes de violence. J’essaie d’apporter ce type de réflexion sur le fond, et sur la forme, être en compagnie de chiens leur procure un bien-être immédiat.

Qui assiste à ces ateliers ? Est-ce que ce sont plutôt des détenus qui aiment les chiens ?

On a aussi bien des détenus qui ont des chiens, d’autres pas. Les détenus ne sont pas toujours volontaires pour cette activité, certains sont inscrits d’office. Souvent, les détenus ont l’expérience de chiens qui ont la réputation d’être agressifs, comme les rottweilers, les pitbulls ou les amstaff.

Comment ça se passe pour les détenus inscrits d’office ?

Je suis assez souple, je n’oblige pas à écouter ou participer, mais en majorité ceux  qui assistent à l’atelier de façon “contrainte” sont souvent surpris de voir comment on peut s’occuper d’un chien. Cela va souvent à l’encontre de ce qu’ils connaissent ou peuvent imaginer. On ne crie pas sur un chien pour se faire écouter, on ne domine pas un chien en étant violent comme pas mal le pensent, même s’il y a des exceptions. Beaucoup finissent par poser des questions, par s’intéresser, parce que cela leur apprend quelque chose.

Comment se déroule une séance type ?

A l’exception de la première session qui est théorique, je viens avec des chiens et j’explique aux détenus différents exercices d’obéissance. C’est assez similaire à un cours d’éducation canine pour les particuliers : les détenus apprennent à faire asseoir le chien, coucher, marcher au pied, etc. J’adapte un peu le contenu en fonction de la capacité d’attention du groupe, ils peuvent aussi simplement jouer avec les chiens, les caresser ou les promener. C’est un cadre qui n’est pas très rigide. Souvent, les détenus profitent de ce moment pour échanger avec moi, pour me raconter des anecdotes avec leurs chiens, et la discussion dérive parfois sur leur vie personnelle. C’est un espace pour parler, je ne suis pas psychologue mais je suis une oreille attentive. 

Comment les détenus réagissent ?

Ils apprécient ce contact avec l’extérieur et avec les animaux, beaucoup passent un bon moment. On a aussi des détenus qui ne sont pas inscrits à l’atelier, qui viennent jeter un oeil et qui restent pour caresser les chiens ou participer. Parmi ceux qui viennent régulièrement à l’atelier, certains s’attachent aux chiens. Ca arrive très souvent, les détenus sont ravis de revoir Moro par exemple, et ils me demandent des nouvelles des chiens. C’est une expérience très positive, à vrai dire  je ne pensais pas que ça apporterait autant de bien être aux détenus. Ce qui m’a le plus surpris c’est qu’ils abandonnent complètement leur image de “dur”… j’amène parfois de tout petits chiens, et je vois  des détenus qui oublient complètement le rôle social qu’ils tiennent habituellement, ils se laissent aller.

Comment les chiens réagissent-ils à cet environnement ?

Ils ne perçoivent pas les particularités de l’endroit, et se comportent de la même façon qu’ailleurs. C’est un lieu inconnu, mais ils n’en ont pas conscience, ils pourraient être dans un métro ou un supermarché. Ce que nous percevons du milieu carcéral est différent, il peut y avoir une petite tension au niveau de l’humain, mais nous avons affaire à des détenus assez calmes. Je n’ai jamais eu d’incident ou de tension en cinq années d’activité.

Comment la formule a évolué avec les années ? 

Je fait moins de séances et avec moins de participants. Comme l’activité avec les chiens se fait sur un lieu de promenade, il ne faut pas qu’il y ait trop d’attente pour l’exercice avec les chiens, sinon il y a un risque que les détenus soient happés par des sollicitations extérieures et quittent l’atelier. Se concentrer sur un petit groupe aide à maintenir l’attention.

Moro dans nos locaux

Et avec Moro, comment ça se passe ? Les labradors sont-ils plus sociables et plus aptes à cette expérience ?

La sociabilité n’est pas une question de race, cela fait aussi partie de ce que j’explique aux détenus. Il y a beaucoup d’aprioris sur les races et les comportements associés, comme le fait que les amstaff ont du tempérament et soient agressifs. J’essaie de lutter contre cette idée reçue, en expliquant comment les races ont été conçues, et pourquoi cela ne détermine pas le comportement. Ce qui est intéressant, c’est que l’organisation sociale du chien permet de lutter contre de nombreuses idées reçues chez les humains, comme le racisme.

Moro a en tous cas le même comportement qu’à l’extérieur : elle se couche, elle est un peu paresseuse, pas très motivée  pour faire les exercices et elle adore jouer avec les bouteilles. Elle est toujours très contente quand je viens la chercher, quand elle arrive elle essaie de faire la sieste, puis elle se met aux exercices. Comme Moro n’a pas très souvent envie d’obéir, elle est une bonne candidate pour ces activités ; elle est réticente, mais jamais agressive, elle se contente de faire la carpette ! J’amène des chiens qui sont très éduqués, ou non éduqués, ça permet aux détenus de voir l’ensemble du processus d’apprentissage.


Pour conclure : selon l’OIP, le manque d’activité hors cellule est une caractéristique des prisons françaises. Théâtre, photo, chorale… nombreuses sont les activités qui peuvent être proposées en milieu carcéral. Nous avons souhaité avec cet article sensibiliser nos lecteurs à la question des activités issues de l’extérieur proposées en prison, et pourquoi pas leur donner l’envie d’y contribuer…

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