GAIA-X : le miroir aux alouettes ou la voie du salut pour l’Europe ? – partie 1

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Les 17 et 18 novembre s’est tenu à Paris le 3ème sommet de GAIA-X, qui a réuni un peu plus de 60 conférenciers et plus d’une centaine de participants. 

Pour rappel, Gaia-X est une AISBL (Association Internationale Sans But Lucratif) de droit belge officiellement lancée en janvier 2021. Pour reprendre les mots de son CEO, Francesco Bonfiglio : “(…) Gaia-X brings together a community of organisations around the common goal to boost the European data economy by enabling the creation of common data spaces, in full alignment with the objectives of the EU’s data strategy, and building a common open standard for transparency, controllable and interoperable data infrastructures for trustworthy, data exchange. Open to anyone but aligned to the European values of human-centricity, transparency, openness and sovereignty, Gaia-X’s ambition is to deliver unprecedented opportunities for innovative data-driven business models reducing the dependency from non-controllable technologies”.

Un an et demi après sa création, Gaia-X fédère 360 organisations membres réparties à travers 25 pays, anime 20 hubs (réunissant eux-mêmes plus de 2 000 participants) et fédère 19 comités et groupes de travail, chacun travaillant sur des services mis à disposition de tout ou partie de ses 16 verticaux. 

Autant dire qu’en moins de 24 mois, le bébé a bien grossi ! Il est donc légitime de se demander, au-delà de toute cette comitologie, quels sont les apports concrets de Gaia-X et en quoi il peut sécuriser et optimiser la position concurrentielle de l’Europe et la protection de ses consommateurs dans le marché de la donnée.

Les conférences de ce sommet avaient clairement comme objectifs de répondre à ces questions. Un premier lot de conférences traitait des objectifs, bénéfices et de la roadmap de Gaia-X. Un deuxième lot regroupait des présentations de projets d’infrastructure ou de cas d’usage (« Lighthouse projects ») en cours de déploiement au sein de Gaia-X.

Dans cet article, j’aborderai la première thématique à travers un résumé des éléments clés mis en avant par Jean-Noël Barrot, Ministre délégué chargé de la Transition numérique et des Télécommunications et de Francesco Bonfiglio, CEO de Gaia-X.

Dans une deuxième partie, j’enchainerai avec une présentation de la brique d’infrastructure « Digital Clearing House », présentée par une équipe composée de Pierre Gronlier, CTO de Gaia-X, Roland Fadrany, COO de Gaia-X, Lauresha Memeti, chef de projet technique au sein du GXFS-DE (Gaia-X Federated Services allemand) et Benoit Tabutiaux, chef de projet au sein du GXFS-FR (Gaia-X Federated Services français).

Enfin, dans une troisième partie, je vous ferai un retour sur une table ronde de représentants du domaine de l’énergie qui ont débattu sur les bénéfices de Gaia-X pour favoriser la mise en place de solutions de développement durable dans leur secteur d’activité.

La position de l’Etat français

La conférence d’ouverture fut présentée par Jean-Noël Barrot, Ministre délégué chargé de la Transition numérique et des Télécommunications. Il a commencé son allocution en rappelant les 3 piliers de la stratégie française en termes de souveraineté numérique, à savoir :

  • s’assurer de la prise en compte de nos valeurs par les produits et services mis à disposition sur le marché,
  • accroître l’offre technologique nationale
  • supporter les innovations et la compétitivité de l’écosystème du numérique.

Selon lui, cette stratégie est portée par la France dans le cadre de sa présidence du Conseil de l’Union européenne et totalement en cohérence avec la vision européenne. Il rappellera pour l’occasion le projet commun de financement par l’Allemagne et la France de 5 projets dans le domaine de l’IA pour un montant de 17.5 millions, la création du hub français Gaia-X, porté par le CIGREF, ainsi que l’existence de Themis X, le data space français du tourisme, et de la participation au projet Prometheus X, plateforme collaborative pour construire le Data Space Education & Skills

M. Barrot a enchaîné en rappelant que si GAIA-X est l’opportunité de « revamper » le marché actuel du cloud il ne peut et ne doit être porté uniquement par l’initiative publique. Il a donc appelé toutes les entreprises européennes à s’investir dans ce projet. D’autant plus, pour conclure, que l’Europe continue ses travaux d’encadrement et de normalisation des pratiques des fournisseurs du numérique, notamment à travers les travaux autour du Data Act (standardisation du partage de la donnée) et de l’EUCS (European Cybersecurity Certification Scheme for Cloud Services).

GAIA-X : « State of the union », de l’ambition à la réalisation

Francesco Bonfiglio, CEO de GAIA-X, a ensuite pris la parole pour une présentation au cours de laquelle il a rappelé le contexte dans lequel GAIA-X s’inscrit, les besoins auxquels il souhaite répondre, les rôles qui lui sont assignés et sa feuille de route d’ici 2025.

Pour commencer, M. Bonfiglio a clairement indiqué que selon lui tous les secteurs d’activité et tous les citoyens européens étaient concernés par les projets numériques menés au sein du marché de gestion de la donnée. Projets qui reposent en grande partie sur l’usage d’infrastructures et de services cloud. Or, force est de constater qu’au cours des dernières années la demande en solutions d’hébergement et de traitement à la demande de la donnée est croissante, les innovations massives… et les parts de marché des fournisseurs européens n’ont jamais décollé.

Dans ce contexte, GAIA-X est pour lui la seule et unique solution à adopter par toutes celles et ceux qui souhaitent supporter la stratégie européenne de gestion de la donnée, c’est-à-dire rendre à l’Europe la souveraineté de son espace numérique (en lui assurant la maîtrise et transparence des technologies et usages) et booster l’offre européenne en reconnectant les composants de l’écosystème de gestion de la donnée, qui fonctionnent actuellement de façon silotée.

C’est ce qu’il appelle passer du concept de « data gathering » (caractérisé par l’existence d’interfaces multiples, une forte ségrégation des données, une accessibilité limitée et basée sur des technologies envisagées uniquement pour leur potentiel de facilitation) à celui de « data spaces » (fondé sur un réseau de participants fédérés entre eux, d’un accès complet et interrompu aux données, et des technologies contrôlables) : créer un écosystème fédéré qui permet l’émergence d’espaces communs de partage de données reposant sur des plateformes de confiance.

Selon M. Bonfiglio, ses prévisions en termes d’évolutions techniques, économiques et règlementaires en Europe à l’horizon 2025 représentent une triple injonction, voire urgence, à investir dans le développement de Gaia-X : 

  • L’évolution du marché européen du digital :
    • part de marché des fournisseurs européens de solutions de cloud inférieure à 10 %,
    • marché total disponible de l’UE sur les plateformes de données = 8-10 % du PIB de l’UE,
    • empreinte économique en UE des PME supérieure ou égale à 80%.
  • L’évolution de l’économie européenne :
    • dépendance des services publics vis-à-vis des plateformes numériques supérieure ou égale à 70%,
    • valeur des produits et services dépendant des données égale à 50-70%,
    • données disjointes à travers les chaînes de valeur supérieure ou égale à 70%.
  • L’évolution des enjeux en termes de souveraineté européenne :
    • Pas de souveraineté politique sans souveraineté numérique,
    • Pas de moteur économique sans souveraineté numérique,
    • Pas de souveraineté avec des plateformes « privées » ou « autocratiques ».

J’en profite pour souligner qu’un peu plus tard dans l’après-midi, François Candelon, Directeur général et associé principal du BCG, appuiera cette vision. Selon lui, les innovations clés de demain se feront dans le domaine des solutions d’hébergement et de partage des données. L’Europe dispose d’un écosystème industriel et économique favorable au développement de ces innovations.

De nombreuses initiatives en ce sens sont en cours actuellement (ex. : projet de partage de données entre hôpitaux, initiatives publiques/privées au Luxembourg pour partager l’usage de plateformes de données). Mais l’Europe n’est pas encore structurellement organisée pour favoriser ces innovations à large échelle. Elle doit donc marquer le pas afin de ne pas manquer la prochaine révolution économique et se donner les moyens d’offrir aux entreprises européennes des produits qui répondent à la double injonction de « ready to use » et « highly trustable ».

Mais revenons à la présentation de M. Bonfiglio ! Dans une deuxième partie, ce dernier a souhaité répondre aux critiques adressées à l’encontre de GAIA-X : un projet obscur, qui n’aboutira à rien de concret, une usine à gaz juste bonne à engloutir des millions sans rien proposer en échange qu’une série de publications théoriques émises par une pléthore de comités déconnectés de la réalité des entreprises et des consommateurs…

Pour commencer, M. Bonfiglio a tenu à rappeler ce qu’était et ce que n’était pas GAIA-X. Gaia-X est un espace de définition de l’architecture et des règles de Gaia-X, un espace de mise à disposition d’implémentations ouvertes et une autorité de qualification pour la conformité à Gaia-X. Gaia-X n’est pas un organisme de normalisation formel, une plateforme logicielle, matérielle ou Cloud ou un environnement d’exécution d’un service labellisé Gaia-X.

Le projet est piloté par une association, son architecture est développée par ses membres et ses services ne seront pas opérés par l’association. A ce titre, les trois rôles de Gaia-X sont uniquement de définir des spécifications, développer du code et qualifier des labels. 

M. Bonfiglio a enchainé avec une présentation de la roadmap de GAIA-X depuis sa création en 2020 jusqu’à 2025 :

Ainsi qu’une liste de projets « lighthouse » (projets pilotes) d’espaces de partage de données créés en conformité avec le cadre Gaia-X et utilisés par des entreprises, des gouvernements ou des universités (ces projets ont été présentés en détail lors de la deuxième journée du sommet). 

Pour conclure, exactement comme l’avait fait M. Barrot d’ailleurs, M. Bonfiglio a insisté sur le fait que, pour survivre et se développer, GAIA-X ne peut pas être portée uniquement par le comité directeur de son AISBL. Ses actions doivent absolument être relayées et ultimement portées par des regroupements d’organisation européennes membres dans chaque secteur d’activité.

Pour résumer mon point de vue à cette étape des conférences : pas mal de bon sens et de convictions dans les présentations. Mais pour le moment peu d’éléments concrets sur lesquels s’appuyer pour confirmer si les initiatives aboutiront à des services pertinents et massivement adoptés.

A la décharge de Gaia-X, et comme l’ont souligné les différents participants, animer des comités et construire des services répondant aux enjeux et besoins de plusieurs centaines d’organisations membres répartis dans des dizaines de pays, et sur la base des capacités de contribution de chacun est une tâche titanesque.

C’est peut-être d’ailleurs une des zones de fragilité du projet : faire avancer de façon cadencée un programme portant sur un périmètre d’ambitions très large, une approche multi-sectoriels, et une gouvernance collaborative.

A ce titre, le contenu des projets “lighthouse” et du service “Digital Clearing House” (présenté dans la deuxième partie de cet article) seront les premiers éléments tangibles sur lesquels s’appuyer pour tirer les premières conclusions sur les capacités de Gaia-X à atteindre ses ambitions.

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